Nous voici à la veille de la fête de Saint François. Dans notre famille franciscaine, ce soir, nous célébrerons le « transitus », que l’on appelle aussi « Pâques de Saint François ». Lors de cette cérémonie, nous revivons les derniers moments de notre père fondateur et faisons mémoire de ses derniers gestes et dernières paroles. C’est ce que nous vous proposons de vivre maintenant en communion avec nous, grâce à cet extrait du chapitre 14 de la ‘légende majeure’, une biographie de Saint François, écrite par Saint Bonaventure. Le texte intégral est accessible ici.
Deux ans après avoir reçu les stigmates sacrés, c’est-à-dire vingt ans après sa conversion, […] il demanda finalement d’être transporté à Sainte-Marie de la Portioncule, afin de rendre la vie du corps au lieu même où il avait reçu la vie de la grâce. Une fois arrivé là, voulant montrer par l’exemple qu’il n’avait rien de commun avec le monde en cette maladie qui devait être la dernière, poussé toujours par la ferveur, il se prosterna nu sur la terre nue ; afin qu’en cette dernière heure, celle où peut-être l’ennemi livrerait le suprême assaut, il puisse lutter nu contre un adversaire nu. Il était là, couché sur la terre, dépouillé de son cilice la main gauche sur la plaie du côté droit pour la soustraire aux regards, fixant des yeux le ciel comme il aimait à le faire et aspirant de tout son être à la gloire éternelle… Il dit aux frères :
« J’ai accompli ma tâche : que le Christ vous apprenne à accomplir la vôtre ! »
Les compagnons du saint, que poignait une intense émotion, étaient tout en pleurs ; celui d’entre eux que l’homme de Dieu nommait son gardien devina, par une inspiration divine, ses désirs : il courut prendre une tunique, une corde, des caleçons, et les tendit au petit pauvre avec ces mots : « Voici ce que je te prête comme à un pauvre ; accepte tout au nom de la sainte obéissance. » Le saint, tout heureux, et jubilant d’allégresse d’avoir été jusqu’au bout fidèle à sa dame la Pauvreté, leva les mains vers le ciel et glorifia le Christ pour tant de joie : s’en aller vers lui entièrement libre, débarrassé de tout. Car s’il avait agi ainsi, c’était par souci de pauvreté : il ne voulait rien posséder, pas même un habit, qui ne lui eût été prêté par autrui. Pour être parfaitement conforme au Christ crucifié, pendu en croix pauvre, souffrant et nu, il était resté nu devant l’évêque au début de sa conversion, et c’est nu également qu’il voulut sortir de ce monde, au moment de la mort. Aux frères qui l’assistaient, il ordonna au nom de l’obéissance dont la charité leur faisait un devoir de le déposer nu sur la terre après sa mort, et de l’y laisser durant le temps nécessaire pour parcourir un mille à pas lents. Quel homme vraiment chrétien, lui qui voulut vivre comme vivait le Christ, mourir comme il est mort, rester, comme Lui, cadavre délaissé après la mort, et qui mérita les honneurs de l’impression en son corps de cette parfaite ressemblance !
L’heure approchait ; il fit venir tous les frères alors présents dans ce petit poste et, avec quelques paroles de consolation pour adoucir leur chagrin, il les exhorta de tout son cœur de père à aimer Dieu ; il ajouta quelques mots sur la patience, la pauvreté, la fidélité à l’Église Romaine, leur recommandant le Saint Évangile avant toute autre Constitution. Enfin, sur tous les frères qui l’entouraient il étendit les mains, les deux bras entrecroisés (il a toujours aimé ce signe), et il bénit tous ses frères, les absents comme les présents, au nom du Crucifié et par sa puissance. Il ajouta :
« Adieu, mes fils ! Restez toujours dans la crainte du Seigneur. La tentation viendra et la tribulation est proche, mais bienheureux ceux qui iront jusqu’au bout de ce qu’ils auront commencé. Pour moi, je m’en vais vers Dieu à la grâce duquel je vous confie. »
Il se fit apporter le livre des Évangiles et demanda la lecture du texte de saint Jean qui commence ainsi : « Avant la fête de la Pâque, Jésus, sachant que l’heure était venue pour lui de passer de ce monde auprès du Père, après avoir aimé les siens qui étaient dans ce monde, il les aima jusqu’à la fin… ». Il récita ensuite comme il put le psaume :
Ma voix crie vers Yahweh,
de ma voix j’implore le Seigneur ;
je répands ma plainte en sa présence,
j’expose devant lui ma détresse.
Et il poursuivit jusqu’au bout
Lorsqu’en moi mon esprit défaille,
toi tu connais mon sentier ;
tu sais que, sur la route où je marche,
on a caché un piège pour moi.
Jette les yeux à ma droite et vois ;
personne ne me reconnaît ;
tout refuge me fait défaut,
nul n’a souci de mon âme.
Je crie vers toi, Yahweh,
je dis : Tu es mon refuge ;
c’est toi qui es mon partage
sur la terre des vivants.
Prête l’oreille à ma supplication,
car je suis au fond du malheur ;
délivre-moi de ceux qui me poursuivent,
car ils sont plus forts que moi.
Tire mon âme de sa prison,
afin que je célèbre ton Nom ;
les justes m’attendent
donne-moi ma récompense.
Enfin, tous les desseins de Dieu s’étant réalisés en lui, son âme très sainte se dégagea de la chair pour être absorbée dans l’abîme de la clarté de Dieu, et le bienheureux s’endormit dans le Seigneur. Un de ses frères et disciples vit son âme montant tout droit vers le ciel sous la forme d’une étoile splendide portée par une blanche nuée au-dessus d’une immense étendue d’eau, âme rayonnante des splendeurs de sa sublime sainteté et débordante des richesses de la grâce et de la sagesse du ciel, qui valurent au saint le séjour de lumière et de paix où il jouit maintenant avec le Christ d’un repos sans fin.
Que, par l’intercession de Saint François,
le Christ nous montre notre vocation et notre mission.
Pour que notre vie soit accomplie…