Nous continuons encore notre série sur les préjugés et stéréotypes que certains peuvent avoir sur la vie religieuse. Il s’agit d’une série initiée par nos frères italiens pour éclairer notre vocation et ‘tordre le cou’, parfois avec un brin d’humour, à certains préjugés que l’on entend ici et là au gré de nos rencontres. Alors, précédemment dans notre blog, nous nous demandions s’il était vrai que les frères restaient toujours enfermés au couvent (cf. ici) et que, hormis prier (cf. là), nous ne faisions rien de notre journée (cf. encore là). C’est d’ailleurs pour cela que nous sommes réputés être toujours joyeux… (voir notre dernier article). Aujourd’hui, dans ce cinquième épisode, nous abordons une question plus sérieuse : est-il vrai que les frères sont tous vieux?
Quelle question! D’ailleurs, l’étonnement des gens n’est-il pas presque palpable lorsqu’ils rencontrent un jeune frère : « Tu es frère ? Si jeune ??? ». Comme si les frères naissaient déjà vieux… 😉 Toutefois… force est de constater que ce n’est pas seulement un simple ‘cliché’, du moins ici en Europe, crise des vocations et vieillissement de la population obligent. C’est beaucoup moins le cas dans d’autres parties du monde, comme l’Asie ou l’Afrique où la situation est complètement inversée.
Alors, que dirait François d’Assise de cette situation? Difficile de répondre à cette question car, à son époque, les frères étaient tous jeunes et il y avait un tel afflux de vocations que la question de l’âge ne se posait pas, d’autant qu’atteindre 50 ans relevait de l’exploit! On peut dire qu’aujourd’hui nous faisons face à un nouveau défi : un défi générationnel. Le Pape François éclaire notre débat en commentant la rencontre des ‘jeunes’ Marie et Joseph avec ‘les anciens’ Anne et Syméon dans le temple de Jérusalem :
« Les anciens reçoivent des jeunes gens, les jeunes gens se ressourcent auprès des anciens. (…) En eux, ils trouvent aussi les racines de la foi, car la foi n’est pas une notion à apprendre dans un livre, mais l’art de vivre avec Dieu, qui s’apprend par l’expérience de ceux qui nous ont précédés sur le chemin. Ainsi, les deux jeunes, en rencontrant les anciens, se retrouvent eux-mêmes. Et les deux anciens, vers la fin de leurs jours, reçoivent Jésus, le sens de leur vie. Cet épisode accomplit ainsi la prophétie de Joël : « Vos anciens seront instruits par des songes, et vos jeunes gens par des visions » (3, 1). Dans cette rencontre, les jeunes voient leur mission et les anciens réalisent leurs rêves. Tout cela parce qu’au centre de la rencontre se trouve Jésus. (…) il convient de se rappeler qu’on ne peut pas renouveler la rencontre avec le Seigneur sans l’autre : ne jamais faire de mise à l’écart générationnelle, mais s’accompagner chaque jour, mettant le Seigneur au centre. Car si les jeunes sont appelés à ouvrir de nouvelles portes, les anciens ont les clefs. Et la jeunesse d’un institut se trouve dans le ressourcement aux racines, en écoutant les anciens. Il n’y a pas d’avenir sans cette rencontre entre les anciens et les jeunes ; il n’y a pas de croissance sans racines et il n’y a pas de floraison sans de nouveaux bourgeons. Jamais de prophétie sans mémoire, jamais de mémoire sans prophétie ; et il faut toujours se rencontrer. » [cf. Homélie du pape François, Fête de la Présentation de Jésus au temple, 2 février 2018].
Rencontrer, c’est peut-être le mot-clé. Au fond, notre vie de fraternité est un petit miracle. Imaginez des hommes de tous âges vivant côte à côte chaque jour, s’asseyant à table ensemble, et discutant de sujets divers allant du sport à la politique, en passant par la théologie et les blagues… Un jeune frère de 22 ans peut ainsi plaisanter avec un ancien de 93 ans… Bien sûr, cette vie de fraternité n’est toujours pas facile, surtout lorsqu’il s’agit de prendre des décisions ensemble, tant les manières de voir le monde et la vie peuvent être différentes et parfois opposées ! Et pourtant… comme dans la vie de famille, il s’agit de recommencer chaque jour, de ‘supporter’ chacun avec ses défauts et ses qualités, bref d’apprendre à s’aimer.
Il est important de changer notre regard sur la vieillesse. Elle n’est pas le signe de la stérilité ou de l’inutilité. Au contraire… nos frères âgés ont été jeunes un jour et se sont engagés sur les pas de Saint François. Ils sont restés fidèles à l’appel reçu. Ils montrent la voie à suivre, offrant un témoignage de vie aux plus jeunes. La sagesse de ceux qui ont déjà cheminé pendant tant d’années est ainsi un fruit à savourer pour ces derniers ! De la même manière, les jeunes frères offrent aux plus anciens l’enthousiasme et l’énergie propres à leur âge. Il s’agit donc d’accueillir le don que nous sommes les uns pour les autres, sans exiger que tous marchent au même rythme, mais en ayant le courage de s’accepter et de s’attendre mutuellement. C’est ce que font Pierre et Jean le matin de Pâques : bien sûr, le plus jeune court en avant, mais il attend l’autre pour le laisser entrer le premier :
« Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau. En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau. […] C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut. » [Jn 20, 3-8]
Peut-être ne peut-on “voir et croire” que de cette manière, en étant ensemble, jeunes et vieux, “racines et bourgeons”, comme dit le pape François !
La jeune fille se réjouit, elle danse ; jeunes gens, vieilles gens, tous ensemble ! Je change leur deuil en joie, les réjouis, les console après la peine. [Jérémie, 31, 13].
Vous pouvez retrouver la version italienne de cet article ici et les quatre premiers épisodes de la série en Français [1] [2] [3] [4]. Pour aller plus loin sur la vieillesse, vous pouvez consulter cet article sur notre blog.
VOCATION FRANCISCAINE 